Institut Béarnais et Gascon

Catégorie : Articles et recherches

  • Le Béarnais et sa diversité

    Texte téléchargeable au format WORD:

    matiade estudi

    Recueil des idiomes de la région gasconne

    Présentation de la collection

    Aperçu de la collection (voir les 17 contenus):

    https://1886.u-bordeaux-montaigne.fr/s/1886/item-set/435260

    Un extrait de traduction

    Tableau d’étude

  • IBG MAGAZINE N°8

    IBG MAGAZINE N°8 AVRIL 2022

    Au programme: Activité de l’association, entretiens, chronique en béarnais, rubrique historico-linguistique, épisode du Petit Prince en béarnais !

    LE LIEN POUR ECOUTER:

    https://www.radio-voixdubearn.info/47.html

  • Oéy en Biarn qu’éy tournat!

     

    Escouta Oéy en Biarn; Au mouliè de Houn Barrade

    https://soundcloud.com/radio-pais/uei-en-biarn-au-moulie-de-houn-barrade

    IBG – MJC du Laü – 81 avenue du Loup – 64000 PAU – Tél. : 06 22 11 67 43

    ibg.secretariat@orange.fr

  • Oéy en Biarn

     

    0éy en Biarn 3.07.2020

    Oéy en Biarn 25.07.2020

  • Au noùste Enric!

    LE FUTUR ROI HENRI IV PARLE GASCON AU ROI DE FRANCE HENRI II (1557)

    Par Guilhem Pépin d’Historiweb

    https://www.historiweb.fr/

            L’image contient peut-être : 1 personne, debout, chapeau et chaussures  

    Portrait d’Henri de Bourbon, futur Henri III de Navarre et Henri IV de France, vers l’âge de trois ans.

                De nos jours les rois Henri IV représentés à l’écran (film, téléfilms et docu-fictions) ont tous un accent standard français « lissé » depuis le film « La Reine Margot » (1994) de Patrick Chéreau où il était joué par Daniel Auteuil (où il aurait pu faire un accent méridional puisqu’il est provençal). Auparavant, on a montré Henri IV possédant un fort accent gascon et une faconde toute gasconne comme par exemple dans « Vive Henri IV, Vive l’amour » (1961) de Claude Autant-Lara. Il était joué par le truculent comédien Francis Claude qui joua Henri IV à quatre reprises au cours de sa carrière à cause de sa ressemblance physique avec ce roi.

    L’image contient peut-être : 1 personne, chaussures

    Autre portrait du jeune Henri de Bourbon (futur Henri IV) enfant.

                Alors qu’en est-il : Henri IV parlait-il gascon ? Avait-il l’accent gascon ? Était-il juste un locuteur de français standard de l’époque sans accent gascon ? Je rappelle que l’accent du français standard de l’époque nous semblerait bien plus proche de l’accent québécois que de l’accent standard « parisien» des médias actuels…

      L’enfance du prince Henri

                Nous savons tous que le futur Henri IV est né le 13 décembre 1553 au château de Pau. Il est le fils de Jeanne d’Albret (en gascon de l’époque : « Johane de Labrit »), reine de Navarre, dame souveraine du Béarn et d’Andorre, comtesse de Foix, d’Armagnac, de Périgord, de Rodez, vicomtesse de Limoges, de Marsan de Gabardan, de Lomagne, et dame d’Albret, etc.

    L’image contient peut-être : 1 personne

    La reine de Navarre Jeanne d’Albret (Johane de Labrit) jeune

    Son père est Antoine de Bourbon, un prince du sang capétien, descendant direct du roi de France saint Louis, qui a été marié avec sa mère afin d’ancrer les possessions des Albret du côté français dans le cadre du conflit avec la couronne d’Espagne.

    L’image contient peut-être : 1 personne, barbe
    Antoine de Bourbon

               Rien n’indiquait à l’époque qu’il avait une quelconque chance réelle de devenir roi de France un jour. Son destin était seulement de devenir roi de Navarre (de fait juste la Basse-Navarre), seigneur souverain de Béarn, ainsi que seigneur de plusieurs seigneuries du royaume de France, ce qu’il deviendra en 1572, le faisant tout de même probablement le plus puissant prince du sang du royaume de France.

                À l’âge de dix-huit mois, le jeune Henri reçoit le titre honorifique de « prince de Navarre » et est confié à une gouvernante. Celle-ci, Suzanne de Bourbon-Busset, est une cousine éloignée du père d’Henri qui est mariée à Johan d’Albret, baron de Miossens et de Coarraze, qui est lui un cousin de Jeanne d’Albret. A partir de ce moment le jeune Henri est donc élevé en Béarn au château de Coarraze dont il ne reste de l’époque du séjour d’Henri qu’une tour médiévale du XIVe siècle.

    L’image contient peut-être : arbre, ciel, maison, plein air et nature

    La tour médiévale du château de Coarraze (Béarn) qu’a connu le futur Henri IV dans son enfance (arrondissement de Pau, département des Pyrénées Atlantiques).

                Là il est « nourri à la béarnaise » comme le désirait son grand-père Henri II d’Albret, roi de Navarre et seigneur souverain de Béarn (de 1517 à 1555). Selon la légende, il vit ici habillé comme un fils de paysan, pieds et tête nues, et s’amuse à courir la campagne avec des camarades de son âge venant du village de Coarraze. Bien entendu une telle éducation, plutôt baroque pour un prince du sang français, lui fait apprendre la langue locale, soit le gascon parlé en Béarn, appelé également à l’époque du nom de béarnais. Bien entendu, il entend aussi le français qu’on lui parle également.

    Le prince Henri de Bourbon parle gascon

                Cette maîtrise de la langue gasconne est particulièrement flagrante quand ses parents le présentent au roi de France Henri II de Valois (règne : de 1547 à 1559) et à sa femme Catherine de Médicis en leur palais du Louvre, à Paris, le 12 février 1557.

    L’image contient peut-être : 1 personne, barbe

    Portrait du roi de France Henri II de Valois.

                Le roi Henri II de France s’amuse alors un peu de la présence du jeune enfant de trois ans et deux mois. Il le prend dans ses bras et lui pose cette question badine afin de s’amuser un peu :

    « Voulez-vous être mon fils ? »

                Le jeune Henri, trouvant la question plutôt curieuse, montre alors son père du doigt en disant en gascon :

                « Aquet es lou seigne paï ! » (mot-à-mot : « Celui-là est mon seigneur père ! » , soit ce que l’on dirait aujourd’hui : « Mais c’est lui qui est mon père ! »). Une autre version, moins sûre, rapporte qu’il répond alors : « Aquest es lou seigne reï ! », soit « Celui-là est le seigneur roi [de Navarre] ».

    Surpris le roi Henri II lui rétorque alors :

                « Puisque vous ne voulez pas être mon fils, voulez-vous être mon gendre ? »

    Henri répond alors en gascon :

                « O bé » soit un oui franc et massif en langue gasconne.(1)

                De fait, le roi Henri II a une seule fille qui lui reste à marier : Marguerite, âgée de quatre ans et demi. Le hasard des évènements feront que cette Marguerite deviendra ensuite la fameuse reine Margot en épousant le futur Henri IV à Paris en 1572.

                Mais est-ce que le futur Henri IV perd ensuite l’usage de la langue gasconne au profit du seul français ? Quand bien même des lettres furent rédigées en gascon en son nom pour ses états de (Basse-)Navarre et de Béarn, aucune lettre personnelle d’Henri IV ne nous est parvenue en gascon et toutes ses lettres connues sont écrites en français.

                Toutefois, de temps à autre le français qu’il écrit trahit en fait un locuteur natif de gascon. Henri IV écrit ainsi : « Je suis bien marri que je ne me suis pu trouver sur le port à votre arrivée » (1600). En gascon de l’époque, on dit : « nou-m souy poudu trouba ». « J’ai donné charge de traiter avec M. de Boisdauphin pour le faire estre mon serviteur » (1585), soit en gascon « taü ho esta moun serbidou ». Au lieu de chanson, coutume, étrier, marque, Henri IV écrit canson, costume, estrieu, merque et ces mots étant écrits en gascon de l’époque : « cansou », « coustume », « estriü »,

    « merque ». On dit alors en Béarn : lous deüs Estats : ceux (les gens) des Etats. Henri écrit à sa femme Marguerite en 1589 : « Vous savez les injustices qu’on a faites à ceux de la religion ».

                De même : « Depuis quinze jours en ça, les forces de France et d’Espagne sont affrontées » (1597). Le gascon écrit miey an en sa, demi-an en ça (depuis six mois). « Vraiment ma venue était nécessaire en ce pays, si elle le fut jamais en lieu » (1593). En gascon : si-n troubatz en loc : si vous en trouvez en un lieu (pour quelque part). Et il y a nombre de cas similaires dans sa correspondance.(2)

    Henri IV se disait gascon. Béarnais était un terme péjoratif le concernant

    L’image contient peut-être : 1 personne, barbe

    Portrait d’Henri IV de Bourbon en tant que roi de France et de Navarre.

                Comment d’ailleurs se nomme lui-même Henri IV ? Comme gascon ou comme béarnais ?

                Tous les témoignages convergent pour affirmer qu’il se disait avant tout gascon. Ainsi devant le parlement de Bordeaux qui refusait d’enregistrer l’un de ses édits en 1608 il lança fou de colère : « Je vous connais, je suis gascon comme vous ! ».(3) Il lui arrivait rarement de se nommer « béarnais », mais c’était alors pour se moquer de ses ennemis qui le dénigrait ainsi car ce terme voulait souligner qu’il était un étranger au royaume de France, seigneur d’un état officiellement protestant depuis les ordonnances de Jeanne d’Albret de 1572. De fait, tous les témoignages d’époque insistent sur le fait que le terme béarnais était utilisé de manière péjorative envers Henri IV par les ligueurs catholiques, afin de le délégitimer dans la course au trône de France.

                On trouve ainsi : « le Béarnois, c’est ainsi que les ligueurs l’appelloient par mépris ou par dérision ».(4) En 1592, les ligueurs parisiens parlent d’Henri IV si celui devient catholique pour être accepté par eux en tant que roi de France : « lequel par desdain ils appelloyent le Bearnois, [s’il] se rangerait par eux au parti par eux nommé catholique, il n’estoit plus recevable [pour eux] ».(5) De même, après le meurtre de son prédécesseur Henri III : « les plus impudents et passionnés ne l’appelleront que le Béarnois par desdain ».(6)

    Gascons et Français au XVIe siècle

                En lisant les textes du XVIe siècle, il est frappant de constater que les Gascons sont couramment distingués des Français. Cette distinction, assez incompréhensible de nos contemporains, est tout-à-fait explicable. Les textes médiévaux la font également constamment. Il s’agit en fait d’une distinction d’ordre ethno-linguistique : d’un côté les Gascons parlant le gascon, une langue d’oc ayant un léger substrat basque dans une zone située grosso modo au sud de la Garonne et s’étendant jusqu’aux Pyrénées, de l’autre les « Français », locuteurs d’oïl habitants les régions situées au nord de la Loire. La « France » désignant quasi-constamment dans les écrits méridionaux le pays situé au nord de la Loire. Il était alors courant jusqu’en plein XIXe siècle de dire « aller en France » pour dire « monter à Paris ».

                Ainsi Étienne Dolet défend les étudiants français face aux étudiants gascons dans une joute oratoire organisée entre « nations » étudiantes à l’Université de Toulouse (1533). Ou encore le chef militaire gascon réputé Blaise de Monluc distingue constamment dans ses « Commentaires » les Gascons des Français, ainsi que la Gascogne de la France. Pourtant ce dernier se dit également être « français ». Que doit-on donc comprendre ? Que le fait d’être un sujet du roi de France faisait de vous un « français » au sens d’appartenance politique au royaume de France, et ce, en dépit de la distinction interne de type ethno-linguistique entre deux « nations » : la gasconne et la française.

                Ensuite, il faut comprendre que les « français » (comprendre les habitants des régions situées au nord de la Loire) ont artificiellement étendu le vocable de gascon aux habitants de l’ensemble des régions méridionales parlant une langue ou dialecte d’oc, à l’exception des habitants des régions situées à l’est du Rhône, soit essentiellement les provençaux. L’auteur gascon Pey de Garros rapporte ainsi en 1567 que des non-Gascons déclarent dans le nord de la France qu’ils le sont et disent là-bas qu’ils reviennent en « Gascogne » quand ils partent chez eux dans le sud du royaume. Mais Garros est très clair : les véritables gascons sont concentrés essentiellement dans les régions situées entre la Garonne et les Pyrénées.

    Gascons et Béarnais au XVIe siècle

                Jusqu’au XVIe siècle, les textes qui nous sont parvenus sont formels : les Béarnais sont considérés et étaient considérés comme étant des gascons, comme tous leurs voisins situés au nord et à l’est du Béarn. Mais contrairement à toutes les autres régions de langue gasconne, le Béarn a connu un statut politique très particulier à partir du moment où le comte de Foix et vicomte de Béarn Gaston dit Fébus (+ 1391) a affirmé tenir le Béarn de manière souveraine (25 septembre 1347). Ce statut de facto mis du temps à entrer dans les esprits et il fallut que la Gascogne occidentale unie à la couronne d’Angleterre (de Bordeaux à Bayonne) soit conquise par le roi de France Charles VII (en 1451 et 1453) pour que le Béarn se retrouve entouré de terres gasconnes soumises directement ou indirectement aux rois de France.

    Aucune description de photo disponible.

    Carte des possessions des Albret, rois de Navarre et seigneurs souverains de Béarn. Tirée de « Histoire de Béarn », éd. D. Bidot-Germa, M. Grosclaude et J.-P. Duchon, Orthez, éditions Per Noste, 1992, p 57.

                Cette situation spécifique a perduré malgré les appétits de ce puissant voisin. Les vicomtes de Béarn – comtes de Foix changèrent leur titre pour celui de « seigneur souverain de Béarn ». Cette souveraineté de fait, contestée par la France, mais rarement, fut renforcée quand le seigneur de Béarn et comte de de Foix devint également roi de Navarre par héritage en 1479. Mais les deux entités politiques, Béarn et Navarre, ne fusionnèrent jamais. Ce particularisme juridique béarnais fonda alors une identité politique béarnaise distincte des autres régions gasconnes. Celle-ci fut renforcée par l’établissement officiel de la religion calviniste ou protestante en Béarn par Jeanne d’Albret en 1572. Il faut souligner que tous les actes béarnais étaient encore rédigés en gascon au XVIe siècle et au début du XVIIe siècles, une langue de plus en plus appelée localement du seul nom de béarnais. Cette langue fut encore employée par les États (l’assemblée représentative de la province), qui ne reconnurent jamais l’annexion à la France, jusqu’en 1789.

                In fine, les Béarnais développèrent ce que l’on peut considérer comme une conscience nationale spécifique du fait du statut souverain de leur principauté qui perdura jusqu’à l’union du Béarn à la couronne de France en 1620. Ainsi, selon le réputé philologue Joseph-Juste Scaliger (1540-1609) natif de la ville d’Agen indique ainsi qu’ils surnommaient « gavaches », soit étrangers, les locuteurs de gascon extérieurs au Béarn, quand bien même ils parlaient la même langue : « Le Béarnois est vray Gascon. Il n’y a différence que comme entre ceux de Poictiers et ceux de Niort […] Les Béarnois appellent les autres gavaches [étrangers] et cependant c’est le mesme langage. Ils appellent les François Fracimands, langue pelüe. »(7)

                Pour conclure, on peut penser qu’Henri IV est le véritable emblème de la France naturellement multilingue dans ses frontières. Parmi les rares souverains français qui peuvent lui être comparés sur ce point on peut trouver Napoléon Ier qui était corse d’origine et savait bien entendu le corse et l’italien, et prononçait le français avec un accent corse, ou encore son neveu Napoléon III, élevé en Allemagne, qui avait lui un fort accent allemand quand il parlait en français.

    Guilhem Pépin.


    Aucune description de photo disponible.

    Armes d’Henri III roi de Navarre, seigneur souverain de Béarn,duc d’Alençon, comte de Foix, d’Armagnac et de Bigorre, seigneur d’Albret etc…

    (de 1572 à 1610 pour la Navarre et le Béarn, jusqu’en 1607 pour ses autres possessions alors fondues totalement dans le domaine royal des rois de France).


    Notes:

    (1) Ruble, Alphonse de, Antoine de Bourbon et Jeanne d’Albret, tome I, Paris, 1881, p 130 et 139. Et Babelon, Jean-Pierre, Henri IV, Paris, éd. Fayard, 1982, p 52-53.

    (2) Comment parlait Henri IV et avait-il engasconné la Cour ?, Revue Henri IV, 1909.

    (3) Le Mao, Caroline, Parlement et parlementaires. Bordeaux au Grand siècle, Seyssel, éd. Champ Vallon, 2007, p 277, n.2. Réponse écrite à la harangue du président du Parlement Dubernet, Bibliothèque municipale de Bordeaux, ms 383, f°8.

    (4) Varillas, Antoine, Histoire de Henry Trois, tome II, Paris, 1694, p 35-36.

    (5) Serres, Jean de, Recueil des choses mémorables avenues en France sous le règne de Henri II, François II…, Dordrecht, 1598, p 754.

    (6) Serres, Jean de, Inventaire général de l’histoire de France…, tome II, Genève, 1645, p 616.

    (7) Scaligerana ou bons mots… de J. Scaliger, Cologne, 1695, p 157-158 et en latin les mêmes données p 9-10.

    https://www.historiweb.fr/

    Historiweb de Guilhem Pépin, le passé au service du présent

    Historiweb est une entreprise créatrice de sites web dédiés au patrimoine, dotée d’un service permettant d’écrire votre histoire et de la promouvoir.
    Historiweb | Le passé au service du présent
  • QUAND LE BÉARN SE DISAIT GASCON

    QUAND LE BÉARN SE DISAIT GASCON

    Texte diffusé lors de la seconde « Amassade gascoune » (assemblée gasconne) à Labastide-Cézeracq le 15 septembre 2018.

        Aujourd’hui pour tout le monde, le Béarn est une région historique considérée comme étant bien distincte de la Gascogne. Pourtant, cela ne fut pas toujours le cas et le Béarn appartint longtemps à la Gascogne. A l’origine, le Béarn fut une vicomté fondée au cours du Xe siècle par les ducs de Gascogne pour administrer le diocèse de Lescar, soit grosso modo la partie nord du Béarn actuel. Le centre de leur domination se situait en Vic-Bilh à Escurès avant de se déplacer à la fin du XIe siècle à Morlaàs. Avec le rattachement au Béarn des vicomtés d’Oloron et de Montaner, puis de la région d’Orthez, les vicomtes prirent de plus en plus d’autonomie vis-à-vis des ducs de Gascogne et de leurs successeurs, les ducs d’Aquitaine. Ils en vinrent même à faire hommage pour le Béarn aux rois d’Aragon-comtes de Barcelone en 1154 et en 1170 avant d’avoir une dynastie vicomtale catalane (les Moncade).

    Carte de la vicomté de Béarn montrant les grandes étapes de sa construction : annexion de la vicomté d’Oloron, de celle de Montaner à l’est et de la région d’Orthez sur les vicomtes de Dax à l’ouest

        Pourtant le For d’Ossau mentionne toujours le service militaire dû par les Ossalois au vicomte de Béarn quand celui répondait à une convocation du duc d’Aquitaine – comte de Poitiers. Les limites de ce service militaire étaient les cols des Pyrénées (les ports) et la Garonne, soit les limites schématiques de la Gascogne. Dans le For de Morlaàs, le délai de convocation d’une personne accusée de meurtre ou devant payer une caution dépendait selon que cette personne était en Béarn (9 jours), entre les cols des Pyrénées et la Garonne (20 jours) ou en dehors de cet espace (40 jours). De même, une lettre de l’évêque et de la communauté de Bazas adressée au roi d’Angleterre – duc de Guienne Edouard Ier en 1290 expliquait que la monnaie de Morlaàs, frappée sans aucun changement et sans discontinuité de la fin du XIe siècle au début du XVe siècle, était la monnaie utilisée couramment en Bazadais. Cette monnaie ne pouvait être imitée, ou voir sa valeur augmentée ou diminuée sans l’accord de tous les prélats, de tous les barons et de toutes les communautés de la province ecclésiastique d’Auch, soit l’ancienne Novempopulanie qui correspondait à la Gascogne telle qu’elle était définie avant le milieu du XIIe siècle. Divers témoignages médiévaux démontrent sans ambiguïté que le Béarn était considéré comme gascon. Ainsi l’auteur poitevin du livre V du Codex Calixtinus (av. 1134) appelée de nos jours « Le Guide du Pèlerin » expliquait que la localité de Borce (vallée d’Aspe) était « sur le versant gascon » des Pyrénées.

    Le vicomte de Béarn Guillem II de Moncade à la bataille de Portopi (1229) sur l’île de Majorque, selon une peinture du Palais Aguilar de Barcelone (Musée Picasso de nos jours). Peinture conservée actuellement au Musée National de Catalogne

        Suite aux incursions vikings du IXe siècle, les évêchés de Lescar et d’Oloron avaient disparu et furent ensuite inclus aux alentours de 977 dans l’évêché de Gascogne qui regroupa alors sous une même autorité tous les évêchés disparus de Gascogne occidentale. L’un de ses titulaires, Arsiu d’Arracq (Raca en latin, un lieu-dit d’Arthez-de-Béarn), évêque de Gascogne des alentours de 988 à ceux de 1017, était d’ailleurs probablement béarnais. À cette même époque l’abbaye béarnaise de Larreule fut fondée par le duc de Gascogne Guilhem-Sans « dans le pays de Gascogne qui s’appelle Soubestre (in pago Vasconie, qui Silvestrensis dicitur) » selon la notice de sa fondation rédigée au XIe siècle. Quand les évêchés disparus furent rétablis à partir de 1059 et que l’évêché de Gascogne fut par conséquent démantelé, Ramon de Bazas dit « l’Ancien », dernier évêque de Gascogne (v. 1017-1059), devint évêque de Lescar. Mentionnons aussi le fait que le dernier duc-comte de Gascogne autochtone, Sans-Guilhem (1010-1032), mort le 4 octobre 1032, se fit enterrer en l’église Saint-Julien de Lescar où une statue en ronde-bosse le représentait assis sur un cheval. Hélas les destructions causées à cette église par les troupes protestantes du comte de Montgomery en 1569 ont fait disparaître ce monument.

        L’identité gasconne des vicomtes de Béarn et de leurs sujets fut aussi soulignée constamment par nombre de documents médiévaux. Ainsi le chroniqueur Orderic Vital (+ v. 1142) rapportait la participation du vicomte de Béarn Gaston IV dit « le Croisé » (1090-1131) à un raid mené contre des musulmans de la région de Valence en Espagne pendant l’hiver 1124-1125 : « Gaston de Béarn fortifia avec ses Gascons [le château de] Benicadell ». Guibert de Nogent (+ v. 1125), un chroniqueur écrivant sur la première croisade en Terre Sainte, hésitait sur le pays d’origine de ce même Gaston IV, l’un des participants à cette première croisade : « Je ne me souviens pas exactement si ce Gaston, un homme illustre et très riche, venait de Gascogne (Guasconia) ou du Pays Basque (Basconia) : c’était en tout cas l’un ou l’autre j’en suis certain ». Une chronique latine conservée à l’Escorial (près de Madrid) rapportant la prise Saragosse en 1118 par le roi d’Aragon Alphonse Ier et Gaston IV de Béarn indique : « Les chrétiens de Gascogne soulevés par une grande compassion pour leurs frères d’Espagne qui étaient opprimés depuis de nombreuses années par les Sarrasins qui les avaient contraints à subir une persécution permanente, franchirent en grand nombre les Pyrénées afin de libérer l’Eglise opprimée. Avec la protection divine Monseigneur Gaston [IV de Béarn], baron aussi illustre par sa sagesse que par son éloquence, avec d’autres nobles entourés de leurs vassaux, décidèrent de se diriger sur Saragosse, ville qu’ils considéraient comme la racine de tout le mal et l’endroit où la folie sans frein des Sarrasins régnait en maîtresse. Dieu fut si propice aux Gascons et aux Espagnols qui s’entendaient parfaitement que durant leur expédition contre cette cité aucun château ou forteresse ne leur résistât, si bien qu’ils arrivèrent rapidement dans les faubourgs [de Saragosse] qu’ils attaquèrent et prirent sur le champ, obligeant les Sarrasins à se réfugier derrière sa muraille, non sans avoir laissé aux mains des chrétiens toutes leurs richesses. Les Gascons prirent leurs dispositions pour fortifier leur camp plantèrent leurs tentes et se disposèrent à encercler la cité. Parmi eux, un groupe se distingua particulièrement en se lançant dans des attaques ponctuelles contre les Sarrasins et en tuant un bon nombre d’entre eux. » [La ville de Saragosse se soumit aux chrétiens], « le peuple [chrétien] manifesta un enthousiasme délirant lors de la reddition de la cité, de la mainmise sur toutes ses forteresses… ». Le souvenir de cet évènement en est resté si vif que les annales les plus anciennes de Teruel (sud de l’Aragon) rapportent que « la cité de Saragosse est prise par sire Alphonse [Ier d’Aragon] et sire Gaston [de Béarn], comte de Gascogne » (original : « presa es la ciutat de Caragoça de don Alfonso et de don Gaston, comte de Gascuenna »).

        Le troubadour périgourdin Bertran de Born évoquait le vicomte de Béarn Gaston VI de Moncade (1173-1214) en ces termes : « le puissant vicomte qui est chef des Gascons et de qui dépendent le Béarn et le Gabardan ». Pierre de Vaux-de-Cernay, chroniqueur de la croisade albigeoise désignait ce dernier comme « Gaston de Béarn, un certain noble de Gascogne », puis il mentionnait sa visite auprès du comte de Toulouse Raimon VI à Penne d’Agenais en 1212 : « là [à Penne d’Agenais], vint à lui [Raimon VI] un certain noble, le seigneur le plus important de la Gascogne : Gaston de Béarn ».

    Avers d’un dernier morlan frappé sans discontinuité et sans modifications à Morlaàs de la fin du XIe siècle au début du XVe siècle

        Dans sa propre chronique, le roi d’Aragon Jaume / Jaime I (1213-1276) rapportait les dires du vicomte de Béarn Guilhem II de Moncade (1224-1229) datant de 1227 qui affirmaient : « je possède la richesse du Béarn en Gascogne » (« que he la riquesa de Bearn en Gascunya »). A la fin du XIIIe siècle, le troubadour gascon bazadais Amaniu de Sescas mentionnait ainsi Guilhelma de Béarn, fille du vicomte de Béarn Gaston VII de Moncade (1229-1290) : « Sur l’autre Guilhelma, la plus noble, je vous dirai : la fille de seigneur Gaston, avec ses belles manières, a atteint la plus haute qualité de notre pays, la Gascogne, et la contrée en est fort illuminée car sa personne attractive y fut née et éduquée ». Guilhem Anelier, le chroniqueur toulousain de la guerre civile navarraise, rapportait qu’en 1276 Eustache de Beaumarchais, le gouverneur du royaume de Navarre nommé par le roi de France « passa par la Gascogne, par la terre du seigneur Gaston [VII de Béarn], et vint à Sauveterre [de Béarn], où l’honorèrent les Gascons ». Plus loin dans ce texte, le vicomte Gaston VII de Béarn est appelé « seigneur des Gascons ».

        D’ailleurs on trouve dans le cartulaire municipal d’Orthez (le « Martinet »), alors capitale du Béarn, un texte de 1308 dont un passage précise : « la ville d’Orthez de la terre de Béarn en Gascogne ». Le chroniqueur catalan Ramon Muntaner mentionnait dans sa chronique écrite entre 1325 et 1328 « un lieu qui a nom Oloron, qui est en Gascogne ». Dans l’introduction du Tractatus utilis super totum officium misse écrit en 1339 par frère Bernat de Parentis (Parentinis) de l’ordre des Dominicains, il est précisé qu’il était du « couvent d’Orthez de Gascogne » (conventus Orthesii de Vasconia). Même après la déclaration de souveraineté du Béarn par Gaston Fébus (le 25 septembre 1347) le grand chroniqueur Jean Froissart (v 1337- v 1404) appelait encore les Béarnais dans ses Chroniques « les Béarnais gascons ». Suite à son voyage en Béarn auprès de Gaston Fébus en 1388, Froissart évoquait le « Béarn, en la Haute-Gascogne ». En 1365, la chancellerie du roi de Navarre Charles II expliquait que l’un de ses messagers s’était déplacé « de Navarre à Bordeaux, et en Béarn et en d’autres régions de Gascogne plusieurs fois ».

    Olifant de Gaston le croisé, vicomte de Béarn de 1190 à 1130 (cathédrale de Saragosse, Aragon, Espagne). Tous les olifants de ce type ont été fabriqués dans des pays alors musulmans (Espagne musulmane ou Sicile essentiellement)

        Une lettre de la communauté d’Agen (1363) au roi d’Angleterre Édouard III énumérant les qualités de leur ville ainsi que sa bonne situation géographique afin d’accueillir la cour d’appel d’Aquitaine, place le Béarn en Gascogne : « les terres de Gascogne, c’est-à-dire le Béarn, le Marsan, l’Armagnac, le Fézensac ». En 1382 et en 1393, le mercenaire Bertran d’Orthez, au service des rois de Naples, était dit originaire « d’Orthez en Gascogne » (« Bertherandus de Orthes in Gasconia »). Enfin, Arnaut Esquerrier, archiviste officiel du comte de Foix-vicomte de Béarn Gaston IV et auteur d’une chronique écrite entre 1445 et 1461, rapportait ainsi la bataille de Mesplède (25 août 1442) qui avait opposée, après la prise de Dax par l’armée du roi de France, une troupe française qui était entrée en Béarn à des Béarnais qui s’y étaient opposés : « Lorsque Dax capitula, Blanchefort [le capitaine de la troupe française] et ses gens entrèrent en Béarn ; les Béarnais s’opposèrent à eux et à Mesplède eut lieu la bataille où périrent les Béarnais […]. C’est là que s’accomplit la prophétie de la grande bataille qui devait se faire en Gascogne ». Il est aisé de comprendre qu’Esquerrier place donc encore le Béarn en Gascogne. Pour le pèlerin allemand Arnold von Harff (1499), la Gascogne s’étendait de Sauveterre-de-Béarn à la rive gauche de la Garonne à Toulouse. L’itinéraire de Bruges (en Flandre) datant du XVe siècle faisait également débuter la Gascogne à Sauveterre-de-Béarn.

                     Armoiries des comtes de Foix et vicomtes de Béarn dans la seconde moitié du XIVe siècle.                  Musée de Navarre, Pampelune

        Le Béarn ne commença en fait à être différencié du reste de la Gascogne qu’à partir du XVIe siècle En effet, le statut souverain du Béarn, inventé en 1347 par le vicomte Gaston Fébus (1343-1391) avait mis du temps pour s’installer dans les esprits et l’annexion des autres régions gasconnes au domaine royal français souligna la situation particulière du Béarn. Ce ne fut pas d’un processus de différenciation culturelle que vint la distinction Gascogne / Béarn qui s’opéra alors, mais d’un processus politique. D’ailleurs au niveau linguistique et culturel, la distinction entre le béarnais et le gascon ne fut jamais claire puisqu’il existe en fait plusieurs types de béarnais qui ne sont pas distincts de leurs voisins gascons. Un arrêt du Parlement de Paris datant de 1562 évoque ainsi le « langaige byernois et gascon » et plus loin le « langaige gascon et byernois ». L’historien Nicolas Bordenave (+ 1572) mentionne dans son Histoire de Béarn et de Navarre « la langue gasconne et béarnoise ». La souveraineté de fait du Béarn consacra malgré tout l’expression « langue béarnaise » (lengoa bernesa) employée par Arnaut de Salette en 1571 dans sa traduction en gascon béarnais des Psaumes de David et permit le développement d’un nationalisme béarnais renforcé à la suite de la proclamation du protestantisme en tant que religion officielle (1571). Le rétablissement de la religion catholique couplé avec son union forcée à la France (1620) transforma le Béarn en une province du royaume de France. Cette intégration à la France transmua peu à peu le nationalisme béarnais en un simple particularisme provincial.

    Guilhem Pépin, Docteur en Histoire de l’Université d’Oxford

     

  • Gascons et Basques au Moyen-Âge

    GASCONS ET BASQUES AU MOYEN ÂGE

        Conséquence tardive de la défaite des Wisigoths (507), la Novempopulanie fut rattachée vers 530 au royaume des Francs . À la fin du VIe siècle survient un événement d’une portée considérable pour l’histoire de cet espace : l’arrivée des Vascons. Ces derniers sont des bascophones originaires de la Navarre et de l’Ouest de l’Aragon qui portent cette dénomination depuis l’Antiquité. Les Vascons sont pour la première fois mentionnés au Nord des Pyrénées en 587 par le chroniqueur franc Grégoire de Tours (+ 594) : « Les Vascons, dévalant de leurs montagnes, descendent dans la plaine, dévastant vignes et champs, incendiant les maisons, emmenant en captivité plusieurs personnes avec leurs troupeaux. A plusieurs reprises le duc [franc] Austrovald marcha contre eux, mais il ne tira d’eux qu’une vengeance insuffisante ». Les Vascons font régulièrement des expéditions punitives en Novempopulanie après 587 si bien qu’en 602 les rois francs Théodebert II et Thierry II mènent une armée contre eux et arrivent à leur imposer un duc nommé Génialis basé à Bordeaux. Des élites aquitano-romaines de Novempopulanie tels que les évêques d’Eauze, Palladius et son fils Sidoc, pactisèrent avec les Vascons et furent exilés en 626 suite aux accusations porté par Aighyna, le duc saxon de Bordeaux. Peu à peu les Vascons dominèrent militairement et politiquement la vaste région comprise entre les Pyrénées et la Garonne. Vers 630, la Novempopulanie change de nom pour devenir la Wasconia (Changement mentionné dans la Chronique franque dite de « Frédégaire »). La réalité de la domination vasconne en Novempopulanie nous est inconnue, mais le fait que les habitants de la Novempopulanie aient adopté si rapidement le nom de Wascones démontre sans doute qu’ils étaient proches culturellement, si ce n’est encore linguistiquement des Vascons, ce qui devait sûrement être le cas des habitants les plus méridionaux de l’ancienne Novempopulanie. Il faut se rappeler que les traces de la langue aquitaine (noms de divinité ou de personnes) que l’on trouve essentiellement sur des stèles trouvées en Comminges et en particulier à Saint-Bertrand-de-Comminges, ne peuvent être expliquées que par le basque moderne, ou bien elles ont un aspect « bascoïde ».

        Un problème terminologique se pose au sujet de la signification de ce nouveau nom. Comment doit-on traduire les mots latins Wascones (ou Vascones) et Wasconia (ou Vasconia) ? Par Basques et Pays Basque ou par Gascons et Gascogne ? Il est en fait totalement impossible au haut Moyen-Age (VIIe-Xe siècle) de distinguer dans les sources des Basques et des Gascons. Il vaut mieux donc choisir comme beaucoup d’historiens l’ont fait les termes de Vascons et de Vasconie, véritables décalques du latin. La distinction entre Basques (le plus souvent écrit Basculi en latin) et Gascons (Vascones) n’est clairement faite dans les textes qu’à partir du XIe siècle. Des recherches récentes tendent à prouver que le gascon – du latin comportant des traces de basque – existait déjà au VIe siècle ap. J-C. Le témoignage de l’évêque Claude de Turin confirme bien qu’il existait des Vascones de langue latine au début du IXe siècle, soit ce que l’on peut appeler des Gascons. Au XIe siècle la limite linguistique entre le gascon et le basque suivait dans les grandes lignes celles des XIXe-XXe siècles même si quelques zones « frontalières » qui étaient gasconophones lors des deux derniers siècles (ex : Guiche et les alentours de la future bastide d’Hastingues, ou Biarritz-Anglet) devaient être alors bascophones. Dans l’état actuel de nos connaissances, il est absolument impossible de connaître et donc de décrire les modalités du passage du basque au gascon et la progression spatiale de ce dernier face au basque entre le VIe et le XIe siècle. Mais il y a lieu de penser qu’il exista un bilinguisme gascon/basque dans plusieurs régions et que des poches de basque ont survécu tardivement. Cela fut décrit dans un travail pour le Pallars (Catalogne) et la Chanson de Sainte-Foy écrite en Rouergue (Aveyron) au XIe siècle affirmait encore que les habitants du Val d’Aran étaient Basques (Bascons). Il ne faut pas oublier que le mot basque « aran » (basque standard actuel « haran ») veut dire tout simplement « vallée ».

    Carte 1: la Vasconia (en violet) pendant l’empire romain et jusqu’au début du VIIe siècle ap. J.-C..

        Il faut maintenant préciser ce que l’on entendait par Basques aux XIe et XIIe siècles. Les Vascones originaux provenaient essentiellement de la future Navarre et de l’ouest du futur Aragon, mais l’expansion en Novempopulanie (fin VIe – VIIe siècle) avait également étendu ce vocable aux habitants de cette dernière province. Un phénomène quelque peu parallèle à la perte du nom « aquitain » par les Aquitains originaux s’était ensuite passé dans la Vasconia originelle (Navarre et ouest de l’Aragon) : aux XIe et XIIe siècle les Vascons originaux avaient cessé d’employer le terme de « vascon » pour se désigner en tant que peuple. Désormais pour eux, les Vascons étaient le peuple qui habitait le duché de Vasconia outre-Pyrénées, soit le duché de Gascogne (IXe-XIe siècle). C’est ce qu’affirme l’historien basque Juan José Larrea dans sa monumentale thèse sur la Navarre du IVe au XIIe siècle : « Au Moyen Âge, et bien au-delà, aussi bascophones qu’ils soient pour la plupart, les Navarrais ne se considèrent cependant pas comme des Vascons-Basques. Basconeus ne se réfère qu’à la langue. Pour les Navarrais, les Basques, en tant que peuple, sont les gens d’outre-Pyrénées » (dans J. J. Larrea, La Navarre du IVe au XIIe siècle, Paris-Bruxelles, 1998, p 131).

        C’est au sein de l’ensemble politique du duché de Wasconia que la différence de langue distingua les Gascons des Basques à partir du nom commun latin Wascones (ou Vascones) si bien que l’on différenciait au XIe siècle une Gasconia et une Basconia qui étaient toutes deux réunies au sein du duché-comté de Wasconia ou Vasconia. L’auteur poitevin du cinquième livre du Codex Calixtinus, improprement appelé de nos jours guide du pèlerin, plaçait le village de Saint-Michel sité tout près de Saint-Jean-Pied-de-Port) sur le « versant gascon » des Pyrénées bien qu’il faisait partie linguistiquement de la Basconia ou du tellus Basclorum. Cet auteur distinguait d’ailleurs, tout en reconnaissant qu’ils parlaient la même langue, les Basques situés au nord des Pyrénées, des Navarrais situés au sud.

        Donc, aux XIe – XIIe siècles, les Basques en tant que peuple portant ce seul nom, étaient seulement constitués des populations bascophones appartenant à l’entité politique nommée duché de Vasconia, soit celles peuplant le Labourd, la future Basse-Navarre et la Soule. Juan-José Larrea l’explique ainsi : « Par ailleurs, si les habitants – ou les dirigeants – de la vieille Novempopulanie ont assez tôt au Moyen Âge et durablement assumé le titre de Vascons, c’est que, contrairement au sud des Pyrénées, une formation politique, le duché de Wasconia, a introduit le vieil ethnonyme dans le champ des réalités politiques et administratives : la différence est capitale ». (même étude, p 133).

        Mais au niveau linguistique, tout le monde reconnaissait que ces Basques partageaient la langue basque avec la grande majorité des Navarrais qui habitaient au sud des Pyrénées. La distinction, commune dans les sources de l’époque, entre Basques et Navarrais provenait d’un phénomène politico-institutionnel et non d’un phénomène linguistico-culturel. Les Navarrais avaient perdu, semble-t-il, leurs noms originels de « Vascons » parce que leur entité politique fut désignée par eux comme « royaume de Pampelune » puis « royaume de Navarre » au milieu du XIIe siècle et jamais comme « royaume de Vasconie » ou « royaume des Vascons ». Le Guipuscoa, l’Alava et la Biscaye, bien qu’aussi peuplés de bascophones, connaissaient alors le même phénomène : ses habitants se désignaient avant tout comme Guipuscoans, Alavais et Biscayens. Il semble toutefois que les bascophones de ces régions étaient toujours désignés à l’occasion comme des Bascones, comme en 1085 ceux de la région située à l’ouest de Pampelune, mais cette dénomination ne concernait plus que les seuls locuteurs de basque (« Euskaldun » ou « Euskalduna » en basque moderne, selon la région) et non l’ensemble de la population. Ainsi Andere Auria Acenariz de la localité d’Olza (située à proximité de Pampelune) donna en 1085 à l’abbaye de Leyre (centre-est de la Navarre) une vigne « dans le lieu que les « Bascones » appellent Ygurai Mendico » (in loco quem Bascones vocant ygurai Mendico), (Voir Documentación medieval de Leire. Siglos IX a XII, éd. A. J. Martin Duque, Pampelune, 1983, document n°117).

        Le Labourd et la Soule resteront attachés institutionnellement à la Gascogne jusqu’en 1789. Ce ne fut pas le cas de la région autour de Saint-Jean-Pied-de-Port et de Saint-Palais qui fut annexée au royaume de Navarre à l’extrême fin du XIIe siècle (à partir de 1189-1194) et au début du XIIIe siècle. En effet, Sancho VI de Navarre effectua cette annexion à la suite de l’absence de son gendre Richard Cœur de Lion en croisade en Terre-Sainte, grâce au mandat qui lui avait été donné de défendre la Gascogne contre les ennemis de Ricchard (Voir Herreros Lopetegui (S), Las tierras navarras de Ultrapuertos (siglos XII-XVI), Pampelune, 1996). Pourtant le roi de Navarre Charles II précisait encore en 1363 qu’il était allé en février 1362 « en Gascogne » quand il s’était rendu uniquement à Saint-Jean-Pied-de-Port. Le chroniqueur Pedro López de Ayala, originaire d’Alava, plaçait également cette dernière ville en Gascogne dans sa chronique sur Henri II de Castille (« una villa que es en comarca de Gascueña, que dicen Sant Juan del Pie del Puerto »).

        Cette aire fut désignée régulièrement par les Navarrais en tant que tierra d’Ayllend Puertos (« terre d’au-delà les ports »), ce qui fut appelé surtout à partir du XVe siècle la tierra d’Ultra-Puertos (la terre d’Outre-Ports). Aux XVe et XVIe siècles les Navarrais qualifièrent cette même région du nom populaire de tierra de Bascos (ou de Vascos), en abrégé Bascos (attesté à partir de 1429), soit la « terre des Basques », expression également appliquée régulièrement par les Gascons dès la seconde moitié du XIVe siècle pour ce même espace groupé avec le Labourd et la Soule (terra de Bascos). Mais l’expression existait déjà en fait au XIIe siècle, puisque que l’on trouve le terme de tellus Basclorum soit « la terre des Basques » dans le Codex Calixtinus (Le Guide du Pèlerin) écrit avant 1134. Le nom de Basse-Navarre ne se substitua à celui de « terre d’Outre-Ports » qu’assez longtemps (première mention en 1577) après la conquête de la Navarre localisée au sud des Pyrénées par les troupes castillanes et aragonaises (1512), mais cette aire fut dénommée d’abord royaume de Navarra deça ports puisque vue dorénavant du Béarn et non de la Haute-Navarre.

    CARTE 2: carte de la Gascogne au Moyen-Age

        Pour terminer sur ce point, il faut remarquer que les Gascons se sont définis comme tels non pas uniquement à cause de leur langue (le gascon) mais aussi et surtout à cause de leur appartenance politique pluriséculaire au duché-comté de Vasconia. Cela nous montre que les faits politico-institutionnels primaient le plus souvent sur les faits linguistico-culturels pour engendrer l’identité d’un peuple médiéval. On comprend aussi que les Gascons et les Basques du Nord ont été longtemps unis politiquement, ont formé un seul peuple (gens en latin) nommé Vascones, avant de former deux peuples (les Gascons et les Bascons) distinct linguistiquement, mais associés au sein d’un même ensemble.

    Guilhem Pépin, docteur en histoire de l’Université d’Oxford.

    p.s. : cet article est disponible sur la page Facebook du Groupe Esprit Gascon

    contact: esprit.gascon@gmail.com

  • Le « que » du gascon

    Une étude de Jean Lafitte sur le « que » énonciatif du gascon (7 pages).

    « Un ami m’ayant demandé ce que l’on sait de la première mention écrite du que énonciatif, il m’a paru pratique de réunir et compléter ce que j’avais écrit sur la question dans les numéros 15 et 16 de mes petits cahiers semestriels Ligam-DiGaM (avril et octobre 2000). Mais d’abord, je rappellerai les notions essentielles qu’il faut avoir sur ce mot.  » Etude mise à jour le 28 janvier 2019.

  • GASCON ET OCCITAN

    Le gascon et l’« occitan »

    Ceux qui s’intéressent encore à la vieille langue autochtone de la Gascogne et du Béarn ont souvent du mal à se faire une idée dans le débat entre ceux qui n’y voient qu’une variante régionale d’une langue appelée « occitan » et qui aurait été celle de tout le Midi de la France et ceux qui la considèrent comme une langue à part entière, connue comme « gascon » depuis 700 ans.
    Un bref retour en arrière va permettre de comprendre comment on en est arrivé là…

    La suite de l’étude de Jean Lafitte en cliquant sur le lien suivant:

    https://fr.calameo.com/read/003325773c30bd3a4dcb6