Institut Béarnais et Gascon

Étiquette : Signalétique

  • Pau : signalisation urbaine en « occitan ».

    Par Jean Lafitte, docteur en sciences du langage

    La « Letra d’informacion du 7 d’Abriu de 2010 » (sic !) de l’Ostau bearnés crie sa grande joie parce que la municipalité a commencé à apposer en ville des panneaux de signalisation en une langue non française à désignation flottante. Le communiqué débute ainsi, dans la langue de l’Ostau :

    « E’us avetz vists ? […] Que volem parlar deus panèus direccionaus bilingues […] en beròi gascon ! Lo còr de vila e los quate punts cardinaus escriuts en òc en devath deu francés. »

    Ce que ce même Ostau traduit ainsi en français :

    « Vous les avez vus ? […] Des panneaux direction¬nels bilingues […] sont désormais affublés de leur traduction en lenga nosta. Le cœur de la ville et les quatre points cardinaux écrits en òc, juste en-dessous du français. »

    Il est symptomatique que dans l’ancienne capitale du Béarn, le nom de « béarnais » n’est même pas mentionné et que « beròi gascon » (joli gascon) n’est même pas traduit en français et remplacé par « lenga nosta » (en italique). Qui plus est, le traducteur (saboteur ?) a inséré « sont désormais affublés de leur traduction », qui manque dans le texte en non-français. Félicitons-le pour son bon sens !

    Pour les gens de l’Ostau, c’est du définitif : « Et aujourd’hui, il est trop tard pour faire machine arrière. Ce qui est fait est fait, et ce n’est plus à faire. ». Mais ils ajoutent bien vite : « Pourtant, il ne faut pas se voiler la face : ces panneaux à peine dévoilés, ils susciteront un vent de contestation (cela a déjà commencé, il suffit d’ouvrir un journal ou de surfer un peu sur internet pour s’en convaincre) pour le choix de la graphie, le coût, pour des raisons de sécurité routière ou de souveraineté de la langue française en notre république… »

    Quand j’étais en activité et qu’il était de bon ton de poser des questions à l’issue d’une conférence, un petit malin en avait deux qui étaient presque toujours pertinentes :

    « À quoi ça sert ? Combien çà coute ? ».

    La seconde est déjà évoquée par l’Ostau, et en des temps de “vaches maigres”, je suppose que plus d’un Palois va la poser et tenir compte de la réponse dans ses prochains votes.

    Quant à la première, ayant “à mon compteur” 22 ans d’enseignement bénévole de la langue gasconne et béarnaise, j’ose répondre : « à rien pour la socialisation de la langue du pays, à pas grand chose pour l’avènement d’une « Occitanie » qui n’a jamais existé et dont seuls quelques rêveurs, parfois sectaires, attendent des « lendemains qui chantent » : on aura marqué le terrain, mais en vain.

     « A rien », je le dis avec la caution de deux “intellectuels” qui n’ont jamais caché leur adhésion à une certaine vision occitaniste du Midi. Le premier à s’être manifesté est Jean-Pierre Cavaillé, chercheur à l’École des Haute Etudes en Sciences Sociales, dans un article de son blog sur la vanité des annonces faites en « occitan » dans le métro de Toulouse; le second est René Merle, professeur agrégé d’histoire, docteur ès lettres, aujourd’hui retraité. Dans un article « Langue occitane : reconnaissance formelle et dégâts collatéraux », il exprime d’abord son adhésions aux critiques du premier ; puis il donne son propre avis sur le triplage du nom de sa ville La Seyne-sur-mer sur les panneaux d’entrée d’agglomération, par addition de « La Sanha de mar – La Sagno de mar », respectivement en graphie occitane et en graphie mistralienne :

    http://merle.rene.over-blog.com/article-langue-occitane-reconnaissance-formelle-et-degats-collateraux-63652692-comments.html

     « Je ressens toujours une bouffée de contentement en découvrant ces plaques. Mais quid de ceux, et ils sont l’immense majorité, qui non seulement ne parlent pas occitan, mais n’ont jamais eu accès à un apprentissage d’au moins une des graphies de cette langue ? »

    Et d’évoquer le massacre phonétique résultant de la lecture de ces graphies, qui ne révèlent pas la place de l’accent tonique, pourtant essentielle. Et je cite encore :

    « Paradoxe d’une entreprise de bonne volonté qui aboutit à la négation de l’occitan, dont la réalité lexicale et articulatoire ne subsiste plus, paradoxalement, que dans le nom français…

    « Devant les plaques des noms de rues, tout se joue dans le face à face solitaire du promeneur, ou de l’automobiliste, avec ce qu’il lit.

    « Mais qu’en est-il des signes de reconnaissance formelle “tombant”, littéralement, sur une collectivité qui a priori n’était pas demandeuse ?

    « L’article de J.P. Cavaillé, me semble-t-il, dit tout ce que l’on peut penser de cette “descente” d’un occitan virtuel et sans âme, (sinon celle de la triste connerie standard de notre société du paraître), sur la foule d’usagers solitaires du métro. »

    En Béarn, on m’a dit que lorsqu’un de ses amis avait demandé à M. Bayrou, alors président du Conseil général, de doubler les panneaux d’agglomération par le nom ancien (sous-entendu, écrit à la mode occitane), il lui aurait répondu : « Mais la quasi totalité des noms de communes béarnaises ont en “français” leur nom béarnais de toujours. » Et il avait raison, car ce sont les Béarnais instruits qui les ont choisis jadis, l’administration a suivi. M. Merle fait le même constat : « la réalité lexicale et articulatoire ne subsiste plus, paradoxalement, que dans le nom français ».

    Concrètement, dans les panneaux photographiés par l’Ostau bearnés :

    Mis à part l’accent grave, « Còr istoric » correspond à l’écriture et donc à la prononciation des environs de 1325, constatée dans les Récits d’Histoire sainte en béarnais ; mais en 1583, Arnaud de Salette écrivait « coò » car le -r final était devenu muet, et au XVIIIe s., de Mesplès faisait rimer « au co » avec « aco » dans sa célèbre chanson « Dus Pastous a l’oumpréte » ; écrire « au còr » et « aquò » à la mode occitane est proprement ridicule et massacre la langue !

    En revanche, le « Lartigue » prétendument français qui, Dieu merci !, n’est pas sous-titré en « Lartiga », est exactement conforme à ce qu’on peut lire dans les archives du Béarn indépendant d’il y a plus de six cents ans. Par exemple, dans un acte reçu par Bernard de Luntz, notaire vicomtal de Gaston Fébus, sont cités P. de Lartigue et Arnaut de Lartigue, représentants de la ville de St-Loubouer, du diocèse d’Aire (P. Tucoo-Chala et J. Staes, Notaire de Prince, p. 84, acte n° 78 dressé à Pau le 15 octobre 1373). Ou encore, dans le Recensement de 1385 ordonné par Fébus, édité par Paul Raymond, 1873 : p. 19 Johan d’Artigue-Bielhe à Puyoo ; p. 120, Berdolet de Lartigue et Guilhem Artigue à Baleix, etc.

    Quand l’article 75-1 de la Constitution reconnait les langues régionales comme patrimoine de la France, ce ne peut être que les langues transmises de génération en génération, comme tout patrimoine, avec notamment leur nom et leur façon de s’écrire. Une collectivité publique ne peut donc soutenir légalement d’autres noms et d’autres modes d’écriture, et il y a des tribunaux administratifs pour en juger.

    Aux Palois de réagir et de ne pas laisser des ignorants de l’histoire faire croire aux élus qu’ils servent la langue ancestrale en dépensant ainsi leurs deniers.

    Jean Lafitte

     

  • « Vilhèra », incompétence ou mensonge ?

    L’affichage d’un panneau « Vilhèra » à l’entrée de l’agglomération de Billère près de Pau a suscité quelques remous : tandis que la municipalité y voit une affirmation de la langue historique du Béarn dans son authenticité retrouvée, beaucoup de Béarnais rejettent cette orthographe comme contraire à l’écriture traditionnelle de leur langue ancestrale.

    S’il n’est pas en mon pouvoir d’apaiser les passions de ceux qui font de ces questions des dogmes quasi religieux, je voudrais donner à ceux qui sont capables d’écoute des éléments de réflexion aussi objectifs que possible.

    Une “bible” trompeuse

    La “bible” des partisans de « Vilhèra » est le Dictionnaire toponymique des communes du Béarn de M. Michel Grosclaude († 2002), publié en 1991 et réédité en 2006, que je citerai ici d’après l’édition que j’ai achetée en 1991. Mais ce n’est qu’une œuvre parmi d’autres, sans aucun caractère officiel, et qui n’est pas toujours « rigoureusement scientifique » comme l’auteur écrit qu’il l’aurait voulue (p. 9) ; nous le verrons bien vite.

    En effet, après avoir écrit en 1985 « Je me sens plus historien que linguiste », il ressort de l’Introduction que pour ce qui est de l’« Orthographe restituée » qu’il allait proposer pour chaque commune, il ne serait ni l’un ni l’autre ; on y lit en effet (les gras sont de moi) :

    p. 20 : « Un des objectifs qui a motivé ce travail était de proposer une orthographe béarnaise correcte des toponymes béarnais. »

    et p. 30 : « Ce que nous appelons “orthographe béarnaise correcte”, c’est ce que certains ont appelé “orthographe classique”, d’autres “orthographe normalisée”, d’autres encore “orthographe de l’Institut [d’]Etudes Occitanes”, […]. »

    Comme en bon français « restituer » c’est « remettre à sa place primitive, dans son état premier ou normal » (Alain Rey, Dictionnaire historique de la langue française), l’expression « orthographe restituée » est donc une tromperie de militant. Le Dictionnnaire équivalent que M. Groslaude signera en 2001 pour les Hautes-Pyrénées sera honnête, lui (peut-être sous la pression des élus de ce département), il proposera franchement l’« Orthographe occitane » du nom de chaque commune.

    Un “historien” peu fiable

    Néanmoins, M. Grosclaude va créer l’illusion en partant des « dénominations historiques » du nom de Billère ; mais ce n’est pas lui qui les a recueillies, il les a empruntées pour la plupart au Dictionnaire topographique du département des Basses-Pyrénées publié en 1863 par Paul Raymond, l’Archiviste du département. Les voici, face à face :

    En creusant un peu, on voit vite les faiblesses du prétendu “historien”. Il commence bien, en transférant sur Bilhères d’Ossau la première mention donnée par P. Raymond, et même si elle n’est pas assez sure pour qu’on la retienne, j’ai pu vérifier chez Marca (1640) qu’elle concerne bien notre Billère près de Pau. Puis M. Grosclaude reproduit le Vilhere relevé par P. Raymond dans le recensement de 1385, sans s’être soucié de l’édition complète du manuscrit de ce recensement (ou Dénombrement) publiée par P. Raymond en 1873 : là, ayant sans doute pris plus de temps, P. Raymond a noté 4 Bilhere, mais aucun Vilhere. Le Bilhere suivant est noté comme de 1457, dans le Cartulaire d’Ossau ; un cartulaire, c’est un recueil d’actes juridiques intéressant une institution, ici la Vallée d’Ossau ; en fait il y en a deux, dits A et B, qui ont été publiés en 1970 par un vrai historien, le Pr. Pierre Tucoo-Chala ; ce Bilhere de 1457 y est bien, p. 300, mais au total, j’ai dénombré 49 Bilhere et 7 Vilhere dans des actes datés du 13 juillet 1435 au 22 septembre 1481 ; M. Grosclaude ne l’a pas fait. Je n’ai pu vérifier Vilhera situé dans la collection manuscrite dite « Réformation de Béarn », non éditée ; je n’ai cependant aucune raison d’en douter. Enfin, je puis ajouter Bilhera présent dans un acte des Notaires de Pau de 1562 (E 1997 f° 178), publié par Amédée Cauhapé dans Païs gascons n° 223 de septembre 2004, donc après le décès de M. Grosclaude.

    Ce qu’aurait dû faire un véritable historien

    Partons d’une récapitulation des dénominations anciennes relevées sur 177 ans :

    En négligeant l’accent grave qui n’existait pas jadis, toutes ces attestations ont en commun les 5 lettres centrales, ilher, différant de la graphie officielle illèr ; 54 ont B à l’initiale, comme l’officielle, 8 seulement V ; et pour la finale, 60 ont e, comme l’officielle, deux seulement a et ce sont les plus récentes.

    La forme ancienne, de loin la plus attestée, est donc Bilhère.

    Conclusion

    En choisissant le V- et le -a, tous deux largement minoritaires, M. Grosclaude n’a donc en rien « restitué » l’orthographe ancienne de la langue du pays, il a fait œuvre de militant occitaniste, un point, c’est tout.

    Le suivre les yeux fermés, c’est faire preuve d’incompétence.

    Et le suivre consciemment en disant qu’on sauve le patrimone béarnais, c’est mentir.

    Aux élus et à la population de Billère d’en tirer les conséquences.

    Jean Lafitte